LE RéCENT SUCCèS JURIDIQUE DE HARVEY WEINSTEIN A UN GOûT AMER ET ENVOIE UN CURIEUX MESSAGE

Dans l’industrie du divertissement, la récente annulation de la condamnation pour viol de Harvey Weinstein a provoqué des vagues de nausée. Une cadre d’Hollywood ayant travaillé avec l’accusé se souvient de ce qu’elle a ressenti en mars 2020, le jour où le magnat du cinéma a été condamné à 23 ans de prison : « Ça a été un énorme soulagement de savoir qu’il était derrière les barreaux. Je me suis aussitôt sentie plus en sécurité dans ma vie de tous les jours. » Autre témoignage : avant la vague #MeToo, une productrice de cinéma pensait qu’un homme comme Weinstein était « intouchable, qu’il pouvait faire ce qui lui chantait et enfreindre toutes les lois ». Pour elle, sa condamnation prouvait enfin « que de tels agissements pouvaient entraîner des conséquences ».

Ces derniers jours, l’une comme l’autre ont été terrifiées en lisant les gros titres : la condamnation de l’ex magnat du cinéma a été annulée en appel à New York. C’est un peu comme si on leur avait violemment arraché les points de suture d’une plaie en pleine cicatrisation. « L’espoir d’un changement flottait dans l’air, déclare la productrice. Maintenant, j’ai l’impression que nous revenons en arrière. »

En 2017, la révélation des comportements prédateurs de Weinstein ont été l’un des déclencheurs de la vague #MeToo. Son procès new-yorkais a été l’une des premières grandes affaires pénales en découlant : plus de 80 femmes l’ont accusé d’agressions ou de conduites inappropriées. Mais le procès de Manhattan ne s’est concentré que sur deux d’entre elles : l’ancienne aspirante actrice Jessica Mann, qui affirme que Weinstein l’avait violée en 2013, et l’ex assistante de production Miriam Haley, qui affirme qu’il lui a imposé un cunnilingus en 2006.

Des témoignages cruciaux pour illustrer le contexte

Au cours du procès, d’autres témoignages de femmes ont permis de tracer les contours de la personnalité prédatrice de Weinstein. Parmi elles, l’actrice Annabella Sciorra, qui accuse l’ancien magnat de l’avoir violée au début des années 1990, et de l’avoir ensuite harcelée durant des années (Weinstein nie toutes les accusations à son encontre). Selon la cour d’appel de l’État de New York, ces témoignages supplémentaires ont, bien malgré eux, contribué à la décision d’annuler le verdict. « Le tribunal de première instance a admis à tort le témoignage d’actes sexuels antérieurs présumés, non incriminés, contre des personnes autres que les plaignantes », a déclaré la plus haute juridiction de l’État de New York.

« L’approche adoptée par les procureurs dans cette affaire a donné vie et sens aux expériences des victimes de violences sexuelle », explique Anita Hill, qui a contribué à sensibiliser les Américains au harcèlement sexuel à l’époque, et qui préside aujourd’hui la Commission Hollywood, dont le but est de mettre fin au harcèlement et aux abus dans le milieu du cinéma. « L’agression sexuelle n’est pas un crime facile à prouver, et elle est nuancée par les différentes façons dont les gens réagissent à la violence sexuelle. Selon moi, c’est pour cela que faire témoigner d’autres femmes était très utile : cela humanisait les plaignantes et permettait d’expliquer leurs réactions face à la violence de leurs expériences. » Selon elle, les témoignages annexes de femmes ayant vécu des expériences similaires ont fourni un contexte important dans cette affaire, car Weinstein n’était pas un agresseur comme les autres : il était assez puissant pour s’assurer que ses accusatrices et leurs entourages respectifs gardent le silence.

La chute de Harvey Weinstein a suffisamment ébranlé Hollywood pour sensibiliser la population aux agressions sexuelles et mettre en place des systèmes permettant de les éviter et de les dénoncer. De nombreuses personnes concernées pensent que les choses se sont améliorées depuis le début de la vague #MeToo, mais l’enquête 2022-2023 de la Commission Hollywood révèle des taux encore élevés de conduites inappropriées. D’autant que ces chiffres déjà alarmants ont de fortes chances d’être sous-estimés, puisque seulement 31 % des répondants pensent « qu’il est probable qu’un homme de pouvoir ait à répondre de ses actes ». Anita Hill confirme qu’indépendamment des caractéristiques des répondants, « il n’y a aucune catégorie où une majorité de personnes pense qu’un homme de pouvoir sera jugé coupable ».

Weinstein, toujours derrière les barreaux

Il y a plus d’un an, un producteur de renom m’a parlé de ce qui avait changé à Hollywood depuis #MeToo. « Les hommes ont peur de mal se comporter parce qu’il y a désormais eu suffisamment de précédents où un agresseur a été jugé coupable. Maintenant, il faudrait que ce ne soit plus la seule motivation pour que les comportements s’améliorent. »

Que se passe-t-il quand une affaire aussi historique que celle de Weinstein fait un pas en arrière ? La menace des conséquences diminue-t-elle ? L’ancien magnat du cinéma n’est pas prêt de retrouver la liberté : le bureau du procureur de Manhattan a promis de tout faire pour rejuger l’affaire, et Weinstein doit encore purger une peine de 16 ans pour des accusations similaires à Los Angeles, bien qu’il ait déposé un avis d’appel en Californie.

L’ancienne dirigeante de la Weinstein Company n’en est pas moins bouleversée par la tournure des événements. Elle ajoute être très troublée à l’idée que les victimes soient obligées de re-témoigner : « Faire revivre ça à toutes ces femmes serait tellement traumatisant pour elles... Croyez-en mon expérience : une fois que Harvey Weinstein est sorti de votre vie, vous ne voulez plus jamais qu’il y réapparaisse. »

Anita Hill pense-t-elle que l’annulation de cette condamnation historique rendra les victimes moins enclines à se manifester à l’avenir ? « Chaque fois qu’il y a un revers, dit-elle, on entend dire que les victimes ne se manifesteront plus. Et à chaque fois, c’est le cas. » Mais, toujours selon elle, l’indignation demeure nécessaire : « Savoir qu’il existe un public croyant en la justice pour les victimes de violences sexuelles compte énormément. J’aimerais que nous n’ayons pas à susciter l’indignation de cette manière, mais cela peut avoir un effet positif… Cet effort pour mettre un terme aux violences sexuelles est une lutte sans fin, et aujourd’hui, nous ne pouvons plus prétendre que nous ne savions pas. »

Initialement publié par Vanity Fair US

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