LES SECRETS DE L'ATELIER DE KHALIF TAHIR THOMPSON, LE PEINTRE QUI SUBLIME LES SCèNES D'INTéRIEUR

Dans l'angle bas d'une toile gigantesque, un chat noir joue avec une pelote de laine rouge. Plus loin, une femme toise le spectateur, menton posé sur le dos d'une chaise. Entre eux, tout un monde intérieur se déploie : meubles, bibelots, fenêtre, pots de fleurs, moquette, tabouret. Quoi de plus ordinaire ? D'un coup de pinceau, Khalif Tahir Thompson transcende la banalité et sublime toutes les composantes de la maison. Plus loin, un homme est affalé dans son canapé, jambes croisées. Il est la figure centrale de cette scène et pourtant, le regard se dirige tout naturellement vers les deux tableaux accrochés au mur - parfaite mise en abîme -, ou les détails de striures de son canapé. Inspiré par l'album de photos de famille de sa grand-mère, le jeune artiste, bientôt diplômé du Master de Yale School of art, peint la vie domestique avec une sensibilité et une sensualité fascinantes. Il expose ses oeuvres dans le cadre de l'exposition « Chilly Winds Don't Blow », à la galerie Zidoun-Bossuyt (Paris 6e) jusqu’au 11 mai.

Il faut voir le regard intense de ses personnages, les touches de peinture qui reflètent la lumière sur la peau, les pétales des fleurs fanées. Souvent qualifié de prodige de la peinture, Khalif Tahir Thompson raconte le quotidien d'une famille afro-américaine avec des portraits en grands formats qui semblent venus d'un autre temps. Le secret ? Des toiles texturées grâce au collage de différents matériaux et textiles; l'artiste étant connu pour sa confection artisanale de papier, notamment à base de papyrus. Ses décors sont parsemés de lettres et de chiffres, langage poétique et mystérieux d'un artiste qui travaille dans un atelier riche en symboles. Visite guidée.

Entre Sesame Street et un musée

« Mon atelier est divisé entre un espace dans le Connecticut à la Yale School of Art, dont je suis tout juste diplômé, et un autre dans le Queens, chez moi. Je le considère comme une carte de mon espace mental. Je peins beaucoup dans le calme de la nuit, donc j’en fais un endroit très animé en plein jour. Je tiens à y passer du bon temps. Des critiques d’art et des amis passent régulièrement boire un café ou manger un bout. C’est Sesame Street ici ! Je suis Balance, alors j’ai besoin d’ordre et d’équilibre. L’atelier est aussi chaleureux qu’organisé. Par exemple, j’ai un « sac à chutes » de tissu et d’échantillons de matériaux pour mes collages : daim, cuir, papyrus, perles, dentelle... et même céréales. Chaque jour, je médite, je consulte des livres d’art sur les peintres Alice Neel ou Romare Bearden et surtout, l’album photo de ma grand-mère. Je m’inspire parfois de l'ambiance de mon atelier pour peindre des scènes d’intérieur tout en écoutant du jazz ou la télé en fond sonore. L’énergie des plantes m’apaise, autant que les bibelots accrochés aux murs. J’aime avoir près de moi ce qui me rappelle mon parcours : mon tote bag de Yale par exemple. Et aussi la statue d’une ballerine en bronze qui date de mon premier job dans un musée. Je crois que tous les artistes ont une âme de collectionneur. »

Rendre l'espace vivant

« Les murs ne sont pas restés blancs longtemps quand je me suis installé dans mon studio du Connecticut. J'adore tout ce qui donne de la vivacité à une pièce. J'aime observer la lumière sur les tissus, le bois, le carrelage. Toutes les choses sur lesquelles mon regard se pose dans l'atelier se retrouvent dans mes oeuvres : un livre sur une table de chevet, une plante grasse près d'une fenêtre, un téléphone sur une pile de livres. Je fais souvent des clins d'oeil aux espaces intimes que je connais. Les couleurs m'attirent énormément. Il suffit que j'achète un livre avec une couverture qui me plait et vous pouvez être sûr qu'elle se retrouvera, d'une façon ou d'une autre, dans ma prochaine toile. Cette perméabilité vient de mon attachement aux endroits confortables, depuis l'enfance : le salon, la chambre, la cuisine. En ce sens, je suis l'opposé d'un artiste qui travaillerait à une cadence folle, éparpillé, comme une tornade. Je commence mes journées au studio par un café, des vitamines. Je parfume l'espace… Et moi-même, je m'assure de sentir bon et d'être bien dans mon corps. C'est capital. Je lance ma musique et je peux commencer à moduler une image dans mon esprit, avant de penser aux formes, aux matières et aux couleurs. »

Souvenirs et accomplissements

« Quitte à paraître un peu ringard, je suis attaché à tout ce qui me rappelle mon parcours et d'où je viens. Le cursus de Yale est aussi prestigieux que stressant. Le totebag de l'école accroché au mur est le reflet de mon engagement et ma passion pour cette formation. Il me rappelle aussi que, malgré la pression, je dois prendre soin de ma santé mentale. Le fait d'avoir des objets si personnels sur mon lieu de travail me permet d'avoir un rapport sein à cet espace. Apaisant, aussi. J'aime les objets qui témoignent de mes réalisations, même les diplômes. L'accumulation créée du mouvement dans cet espace très ancré. L'énergie du souvenir m'inspire beaucoup. »

  • « Chilly Winds Don't Blow », exposition de Khalif Tahir Thompson à la galerie Zidoun-Bossuyt (Paris 6e) jusqu’au 11 mai. Monographie aux éditions Skira parue en 2023.

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