*MEGALOPOLIS :* PREMIèRE IMAGE EXCLUSIVE DE L’éPOPéE RéTRO-FUTURISTE DE FRANCIS FORD COPPOLA

Megalopolis a muri pendant des décennies dans l’esprit de Francis Ford Coppola, et aujourd’hui, il est enfin prêt à dévoiler ce film au monde. À 85 ans, le réalisateur du Parrain, d’Apocalypse Now et de Conversation secrète a enfin mis la touche finale à son projet passion, au prix d’un investissement personnel considérable. Le film sera présenté pour la première fois le mois prochain lors du festival de Cannes, dans l’espoir d’attirer des distributeurs internationaux prêts à prendre un risque similaire.

Le film narre les conflits personnels, politiques et romantiques qui naissent lorsqu'un architecte veut transformer une ville en utopie américaine. Le scénario est nourri d’un véritable foisonnement de sources d’inspiration, des prophéties futuristes de H.G. Wells à une conspiration meurtrière dans l’antiquité romaine, en passant par les attentats dévastateurs du 11-septembre ou encore l’influence démesurée prise par les chaînes d’information et leurs séduisants présentateurs. « À cela, j’ai ajouté tout ce que j’ai lu ou appris », explique Coppola dans un communiqué.

Vanity Fair vous présente en exclusivité la première image : Adam Driver y incarne un architecte, artiste idéaliste qui projette de reconstruire une ville tombée en ruines, et Nathalie Emmanuel, la fille de son ennemi juré, un maire corrompu (Giancarlo Esposito) qui ne veut surtout pas que l’on touche à son royaume. Dans le synopsis officiel du film, Coppola décrit le personnage d'Adam Driver comme ayant le « pouvoir d’arrêter le temps ». Le personnage de Nathalie Emmanuel est déchiré entre ces deux hommes, profondément amoureuse de l’artiste mais fidèle à son père, ce qui va la pousser à « découvrir ce que l’humanité, selon elle, mérite vraiment ».

Le casting est impressionnant, puisqu’on y retrouve également Aubrey Plaza, Shia LaBeouf, Dustin Hoffman, Jon Voight, Laurence Fishburne (déjà jeune soldat dans Apocalypse Now), Kathryn Hunter, la chanteuse Grace VanderWaal et James Remar. Figure aussi dans le casting Talia Shire, la soeur de Francis Ford Coppola, déjà vue dans Le Parrain, et son fils (le neveu de Coppola), Jason Schwartzman.

Une projection du film a été organisée pour des acheteurs, et les premières réactions ont déjà fuité. Si certains spectateurs se disent impressionnés, d’autres semblent nettement plus perplexes. Ce qui ne fait qu’attiser la curiosité de beaucoup de cinéphiles. Sur les réseaux sociaux, les réactions enthousiastes explosent ces dernières semaines et beaucoup se disent impatients de découvrir le dernier baroud d’honneur du vétéran.

Francis Ford Coppola n’a pas souhaité être interviewé pour évoquer cette première image exclusive. Eleanor, son épouse depuis 61 ans, est décédée au début du mois, et le réalisateur et sa famille sont toujours en deuil. À la place, il a proposé à Vanity Fair une déclaration écrite sur les origines du film.

Selon le cinéaste, l'idée du film remonte à son enfance à New York. Il était alors fasciné par les histoires de scientifiques et de chercheurs et bricolait avec des kits d’expérimentation aussi amusants que dangereux. Les films, bien sûr, étaient un autre exutoire pour son imagination. L’un des longs-métrages qui l’a profondément marqué est un drame de 1936. Produit par le visionnaire producteur Alexander Korda et écrit par H.G. Wells, l’auteur de La Guerre des mondes, il dépeint une société tentant désespérément d’arrêter son propre effondrement.

« Les graines de Megalopolis ont été plantées lorsque, enfant, j’ai vu Les Mondes futurs de H.G. Wells, explique Coppola. Ce classique des années 1930 raconte la construction du monde de demain. Il n'a jamais quitté l'esprit du “gamin passionné de sciences”, puis, plus tard, du cinéaste. »

Dans le texte qu’il nous a adressé, il évoque les rumeurs qui sont nées de la longue gestation de Megalopolis. Pour garder le contrôle total du projet, il a vendu une partie de son domaine viticole en Californie du Nord afin d’autofinancer le budget de 120 millions de dollars (112 millions d'euros).

« Je n’ai pas vraiment travaillé sur ce scénario depuis 40 ans, comme on l’écrit souvent, mais j’ai assemblé des notes et des coupures de presse dans un album, des souvenirs de pistes que je trouvais intéressantes pour un scénario futur, des exemples de dessins politiques ou de sujets historiques différents, explique Coppola. En fin de compte, après beaucoup de temps, j’ai opté pour l’idée d’une épopée romaine. Je n’ai donc commencé à écrire ce scénario, par intermittence, que depuis une douzaine d’années. De plus, comme j’ai mis en scène des films aux thématiques et styles très différents, j’espérais réaliser un projet plus tard dans ma vie, quand j'aurais mieux cerné l'essence de mon style. »

Megalopolis représentant le projet de toute une vie, il a décidé d’apposer pour la première fois son propre nom au titre (NDLR, comme il est d’usage dans le monde anglo-saxon). « J’ai toujours respecté l’auteur original des films que j’ai réalisés et toujours insisté pour que leur nom apparaisse au-dessus du titre, comme pour Mario Puzo’s The Godfather ou Bram Stoker’s Dracula, explique-t-il. J’aurais pu m’autoriser à accoler mon nom en tant qu’auteur original aux Gens de la pluie et à Conversation secrète ; mais j'étais alors trop peu sûr de moi pour m’afficher avec un tel aplomb. »

« Très tôt, je me souviens d’avoir pris 130 pages vierges et d’avoir mis un titre annonçant en gras Francis Ford Coppola’s Megalopolis, en sous-titre, All Roads Lead to Rome (Tous les chemins mènent à Rome). Je faisais comme si ces pages n’étaient pas totalement blanches. Sentir ce poids dans mes mains m’aidait à imaginer à quoi ça ressemblerait un jour, à me persuader que tout ça pourrait exister. Plus tard, quand j’ai eu une ébauche, j’ai dû la réécrire 300 fois, en espérant à chaque fois l’améliorer, ne serait-ce que d’un demi pour cent. »

Parmi les influences clés, figure une tentative de coup d’État datant de 63 avant Jésus-Christ. À cette époque, la Rome antique est en pleine crise : son économie commerciale est au point mort, elle lutte pour préserver l’unité de sa vaste république et l’endettement des riches comme des pauvres monte en flèche. Un insurgé, Catilina, va fomenter l’assassinat de plusieurs dirigeants politiques et déclencher une douzaine d’incendies dans la ville, afin de la déstabiliser et de faire naître l’anarchie. Catilina veut bâtir une nouvelle société sur les cendres de l’ancienne, et faire littéralement table rase du passé. Mais Cicéron va exposer ses plans au grand jour et les contrecarrer.

« J’ai passé en revue de nombreuses possibilités et je me suis intéressé à l’incident que l’on appelle la Conjuration de Catilina, poursuit Coppola. L’Amérique moderne est le pendant historique de la Rome antique, et la Conjuration de Catilina, telle que la raconte l’historien Salluste, pourrait se dérouler dans l’Amérique moderne, tout comme nous avions plaqué Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad [dont l’action se déroule à l’origine à la fin du XIXe siècle, dans le contexte de la colonisation européenne en Afrique] sur la guerre du Vietnam dans Apocalypse Now. »

L’étape suivante a consisté à transformer certaines de ces figures historiques en versions fictives de dirigeants modernes. « J’ai commencé par l’essence d’une intrigue : disons un méchant patricien (Catilina) qui complote pour renverser la république, dont les plans maléfiques vont être déjoués par le consul Cicéron. Catilina a été renommé César, comme l’a suggéré l'historienne Mary Beard, car dans la version de l'historien romain Suétone, le jeune Jules César était de mèche avec Catilina, et César serait plus familier au public que Sergius (le nom historique de Catilina). »

Coppola a également décidé d’adopter une vision révisionniste de cette histoire pourtant depuis longtemps gravée dans le marbre. « Je me suis posé la question : la représentation traditionnelle de Catilina en “méchant” et Cicéron en “gentil” est-elle nécessairement juste ? Dans l’histoire, Catilina a perdu et a été tué, et Cicéron a survécu. On le sait, ce sont les gagnants qui écrivent l’histoire, je me suis demandé si Catilina n’avait pas en tête pour sa nouvelle société de redistribuer de manière plus juste le pouvoir, et c’était lui le “visionnaire”, le “gentil”, et que Cicéron était le “réactionnaire” et le “méchant” ? »

Le réalisateur a ensuite transposé cette intrigue de l’Antiquité à nos jours. « L’histoire se déroulerait dans un New York stylisé, présenté comme le centre du pouvoir mondial. Cicéron serait le maire à une époque de grands bouleversements financiers, comme la crise financière sous l’ancien maire Dinkins [qui a dirigé la ville de 1990 à 1993]. César, à son tour, sera un maître d’œuvre, un grand architecte, un designer et un scientifique combinant des éléments de l'urbaniste Robert Moses, tel qu’il est décrit dans la brillante biographie The Power Broker, avec des architectes et des designers comme Frank Lloyd Wright, Raymond Loewy, Norman Bel Geddes ou Walter Gropius. »

« Pas à pas, avec ces prémices, j’ai recherché les affaires les plus intéressantes de New York : l’affaire Claus von Bülow, le scandale Mary Cunningham-William Agee Bendix, l’émergence de Maria Bartiromo (une belle journaliste financière, surnommée “The Money Honey”, qui travaillait à la Bourse de New York), les frasques du Studio 54 et la crise financière de la ville elle-même (sauvée par Felix Rohatyn), afin que tout ce qui figure dans mon histoire soit vrai et se soit passé soit dans le New York contemporain, soit dans la Rome antique. J’ai ajouté à cela tout ce que j’avais lu ou appris sur ces sujets. »

Dans sa déclaration, Coppola inclut ce qui est essentiellement une bibliographie, une longue liste d’universitaires, de poètes, de romanciers, de cinéastes et d’artistes à travers les siècles dont le travail a nourri Megalopolis : « Je n’aurais pas pu réaliser ce projet sans ces géants : G.B. Shaw, Voltaire, Rousseau, Bentham, Mill, Dickens, Emerson, Thoreau, Fuller, Fournier, Morris, Carlyle, Ruskin, Butler et Wells ; sans oublier aussi Euripide, Thomas More, Molière, Pirandello, Shakespeare, Beaumarchais, Swift, Kubrick, Murnau, Goethe, Platon, Eschyle, Spinoza, Durrell, Ibsen, Abel Gance, Fellini, Visconti, Bergman, Bergson, Hesse, Hitchcock, Kurosawa, Cao Xueqin, Mizoguchi, Tolstoï, McCullough, Moïse et les prophètes. »

Il raconte avoir commencé à travailler sur cette idée il y a environ 23 ans. « Convaincu d’avoir les bases du projet en 2001, j’ai ouvert un bureau de production à Park Slope, Brooklyn, et je me suis mis au travail, raconte Coppola. J’ai fait du casting, des lectures, et j’ai fait appel à une deuxième équipe dirigée par le brillant directeur de la photographie Ron Fricke. J'estimais qu’il serait plus facile et moins coûteux de commencer avant d’annoncer le début des prises de vue principales. »

L’équipe de Megalopolis de Coppola s’attelle à documenter la vie quotidienne dans la ville. « La deuxième équipe filmait avec l'un des premiers modèles de caméra numérique Sony, indique-t-il. C’était une prise de risque, mais je pensais que la qualité serait suffisante pour filmer toutes les saisons, et les activités vitales de la ville (distribution de nourriture, évacuation des eaux usées, élimination des ordures) pour les riches et les pauvres. »

L’histoire fictive d’une ville laissée en ruines, après un terrible moment de destruction, s’est alors concrétisée. « L’un des éléments du scénario, depuis le début, est un satellite soviétique vieillissant qui s’écrase sur Terre. Nous avions donc besoin de plans de destruction et de zones déblayées, mais personne n’aurait pu anticiper les événements du 11 septembre 2001 et la tragédie du World Trade Center. La seconde équipe à l’époque a pu couvrir certaines de ces images déchirantes. »

On ignore encore quelle proportion de ces images se retrouve dans le projet final. En s’efforçant de faire quelque chose d’allégorique et d’épique, Coppola est également revenu à la touche personnelle qui donne une telle force à ses classiques. « Mon premier objectif est toujours de faire un film avec tout mon cœur, et j’ai commencé à réaliser que le sujet du film était l’amour et la loyauté à travers tous les aspects de la vie humaine. Megalopolis faisait d’abord écho à ces sentiments, l’amour s’y exprimait avec une complexité presque cristalline, notre planète en danger et l'humanité au bord du suicide, avant de devenir un film très optimiste qui a foi en le génie de l’être humain et en sa capacité à surmonter tous les problèmes qui se présentent à lui. »

Megalopolis se veut également un commentaire sur la nation, le cinéaste reprenant la phrase d’ouverture du Parrain. « Je crois en l’Amérique. Nos fondateurs ont emprunté ailleurs la constitution, le droit romain et le sénat pour imaginer leur gouvernement révolutionnaire sans roi. L’histoire américaine n’aurait pu se dérouler ni réussir sans l’apprentissage classique pour la guider. »

Alors que le film s’apprête à faire ses débuts à Cannes, Coppola exprime de grands espoirs pour son avenir : « Je rêve que Megalopolis devienne un classique des films de fin d’année qu’on regarde en famille, et que les spectateurs discutent ensuite non plus de leurs bonnes résolutions, faire un nouveau régime ou arrêter de fumer, mais se posent plutôt cette simple question : « Le modèle de société qui est le nôtre est-il vraiment le seul qui s’offre à nous ? »

Initialement paru sur vanityfair.com

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